Green streets – Portland, USA
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Portland est la plus grande ville de l’État de l’Oregon, la troisième plus grande ville en nombre d’habitants du nord-ouest Pacifique après Seattle et Vancouver. Avec 652 503 habitants (2020), elle se classe au 29ème rang des villes des États-Unis.
Fondée en 1851, elle tire son nom de la ville éponyme dans l’État du Maine sur la côte Est. Cela s’est joué à peu de choses pour qu’elle se nomme Boston. Les deux propriétaires de l’époque, Asa Lovejoy et Francis Pettygrove, ont dû s’en remettre au hasard du pile ou face pour déterminer laquelle de leurs villes natales serait désignée pour nommer cette nouvelle cité de l’Ouest américain. Longtemps dans l’ombre d’Oregon City, la capitale de l’État, Portland a pris de l’importance grâce à la navigabilité de la rivière Willamette qui la traverse.
La ville se situe à la confluence du fleuve Columbia et de la rivière Willamette. Autre particularité, et non des moindres, l’Oregon se situe sur la chaîne des Cascades. Cette chaîne de montagnes s’étend du nord au sud de la Colombie britannique au Canada jusqu’au nord de la Californie.
Cascade mountains map : file:///Users/emmanuelgouy/Downloads/Cascade_Range_topographic_map-fr.svg
Les Cascade Mountains contiennent l’arc volcanique des Cascades, composé du Mount Rainier (4392m), Mount Shasta (4317m), Mount Hood (3426m) et Mount St Helen (2549m).
A partir de Portland, à chaque fois que l’on se déplace vers l’est on peut apercevoir un grand cône (Stratovolcan) recouvert de neige à toute époque de l’année. Situé à une centaine de kilomètres de la ville, Mount Hood domine la région. Âgé de 500 000 ans, il est considéré comme potentiellement actif; sa dernière éruption est datée de 1781-1782 et les derniers signes d’activité volcanique, juste avant l’arrivée de l’expédition Lewis et Clark en 1805.
Au cœur de la ville, un peu plus difficile à déceler au premier coup d’œil, c’est Mount Tabor, devenu Mount Tabor Park, qui marque le passé volcanique de la ville.
Le climat de la région bénéficie de l’influence de l’océan Pacifique. Qualifié d’océanique-tempéré, on observe cependant deux périodes marquées. La première très humide s’étalant de l’automne au début du printemps, tandis que l’été devient chaud et sec
Portland est aussi la deuxième ville la plus écologique des USA après Seattle. Recyclant ses déchets à hauteur de 67 %, elle applique depuis longtemps une politique très volontariste dans son développement immobilier et urbain.
Dans les années 1960 le gouverneur républicain de l’époque,Tom McCall,
https://www.oregonencyclopedia.org/articles/mccall_thomas_l/
a fait voter 4 textes majeurs en matière de développement durable.
– le Beach Bill : https://www.opb.org/television/programs/oregonexperience/article/the-beach-bill-/
– le Bottle Bill : https://www.oregonencyclopedia.org/articles/beverage_container_act_bottle_bill/
– le démantèlement de l’autoroute Harbor Drive le long de la rivière Willamette https://www.archdaily.com/1023649/transforming-portland-how-a-demolished-highway-became-a-pioneering-waterfront-park
– la Urban Growth Boundary visant à limiter l’expansion urbaine
https://www.oregonmetro.gov/urban-growth-boundary
Ce sont précisément ces motifs qui ont motivé notre venue à Portland. C’est en discutant avec notre professeure d’anglais (Laura Glass Formation-) qui est originaire de Portland que nous avons découvert la ville. Après avoir fait quelques recherches, nous avons rapidement trouvé un lien intéressant avec notre projet pour en faire une halte de notre voyage.
Les raisons évoquées précédemment ont joué en faveur de ce choix, puis en approfondissant les recherches nous avons découvert le projets des « green streets » conduit par la ville de Portland depuis une vingtaine d’années.
En effet, dans les années 1990, le système d’écoulement des eaux usées et de ruissellement était unitaire et partagé (comme dans de nombreuses régions du monde, quand il y en a un), plutôt vieillissant pour un bon tiers de la ville. Cette vétusté a provoqué à plusieurs reprises de grands déversements d’eaux usées dans la rivière Willamette. Ces pollutions répétées ont violé le Cleaner Water Act
https://www.congress.gov/crs-product/RL30030 et ont été sanctionnées par des poursuites judiciaires.
En réponse à ce problème, la ville de Portland a mis en place une gestion intégrée de ces eaux usées et de ruissellement. La démarche a reposé sur la création et la modernisation des infrastructures grises pour les égouts et la mise en place d’infrastructures vertes pour la gestion des eaux de pluies. Ce programme a débuté en 2003 sous forme de projets pilotes puis a été étendu à partir de 2007 après l’adoption de la politique sur les rues vertes. Ce projet a permis de développer les systèmes de filtration par les plantes, nommés ARD (pour Artfull Stormwater Design) par les paysagistes concepteurs et urbanistes ayant cherché une solution au problème. On a assisté à cette période à un changement important de paradigme. Jusque-là, les eaux de ruissellement étaient considérées comme un « déchet » et devaient être évacuées le plus vite et le plus loin possible. Cette vision court-termiste a vite été rattrapée par la réalité et a dû faire face à l’augmentation des surfaces imperméables et à la quantité d’eau à gérer, avec des inondations de plus en plus importantes.
Changer de point de vue en considérant ces eaux de ruissellement comme une ressource a révolutionné les projets d’aménagements. Depuis, les résultats sont au rendez-vous. Qu’ils soient nommés baissière, noue paysagère, jardin de pluie, fosse de Stockholm, tous ces ouvrages ont démontré qu’ils apportaient une plus-value paysagère et écologique. Le fait que le végétal soit au cœur de ces infrastructures permet d’agir sur la vitesse d’écoulement (meilleure infiltration dans les sols, favorisée par les racines) et régule les températures lors des épisodes de fortes chaleurs.
Avant d’arriver à Portland, nous avions lu différentes documentations sur le projet. A ce stade il était difficile de différencier ce qui était de la communication de ce qui était réellement fait sur le terrain. Nous avons posé nos valises lors d’une soirée de juin et ce n’est que le lendemain matin que nous avons découvert notre environnement proche. Nous pensions alors devoir nous renseigner sur la localisation de ces ouvrages. Quelle surprise quand nous avons découvert que notre rue entière était une rue verte, puis la rue suivante, et ainsi de suite! Nous avons eu la sensation dans certains quartiers de traverser une mosaïque de jardins. Durant notre séjour la météo a été plutôt chaude et sèche, nous n’avons pas pu assister au fonctionnement des systèmes. En revanche nous avons pu tester l’effet de régulation de la température lors d’un épisode de forte chaleur: le thermomètre est monté plusieurs jours de suite jusqu’à 39°C. La présence des arbres et de la végétation accompagnant l’ensemble des structures des rues vertes a vraiment rempli son rôle de régulateur. On pouvait marcher dans les rues sans ressentir la chaleur accablante du soleil.
Sur le plan de l’efficacité, les résultats sont convaincants:
Voir une étude sur les « green streets » de Portland, publiée par le ministère des affaires municipales et de l’habitation du Québec datée de 2012, parue en 2018. https://www.quebec.ca/gouvernement/ministeres-organismes/affaires-municipales/publications/recherche-publications
Pour rappel, voici les objectifs du projet:
– réduire le volume de ruissellement de l’eau de pluie dans le système d’égouts;
– réduire la pollution de l’eau absorbée par la nappe phréatique;
– réduire la pollution des rivières et des cours d’eau causée par le déversement d’eau de pluie;
– réduire la fréquence des épisodes d’inondation dans les rues;
– réduire les coûts liés à la construction de nouveaux réseaux d’égouts.
Et ce qui a été obtenu: environ 3 000 rues vertes ont été construites ou rénovées depuis 2003.
Voici quelques résultats, selon les données de 2012 :
– réduction de la pointe de crue sur 25 ans : 90 % en moyenne;
– volume de rétention des débordements d’égouts unitaires : 71 %.
Crédit : Ville de Portland, Bureau of Environmental Services
Bénéfices (sociaux et environnementaux):
– réduction du déversement d’eaux pluviales polluées dans le réseau hydrographique de Portland;
– création de parcs linéaires constituant des aires de circulation sécuritaires pour les piétons et les cyclistes;
– augmentation de la surface des espaces verts urbains;
– amélioration de la qualité de l’air et réduction des îlots de chaleur;
– embellissement général de la ville et amélioration de la qualité de vie des citoyens;
– réduction des coûts liés à la mise à niveau du réseau d’égouts de la Ville.
Par exemple, les coûts de remplacement et de rénovation du réseau d’égouts du territoire couvert par le projet Tabor to the River étaient estimés à 144 M$ US.
L’adoption d’une approche mixte combinant les infrastructures traditionnelles et les infrastructures vertes a réduit ces coûts de 81 M$ US, sans compter les multiples bénéfices sur le plan environnemental et social. Les cinq projets intégrés de gestion des eaux pluviales – c’est-à-dire combinant le remplacement ou la réparation de tuyaux d’égout et l’implantation de rues vertes ou d’autres infrastructures vertes – prévus dans le budget 2017-2018 présentent un ratio coût-avantage positif, selon les estimations sur cinq ans.
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Perception et intégration des ouvrages:
Pour évaluer l’accueil du projet au sein de la population, une étude a été menée par la Portland State University sous la direction D’Everett Glyn https://pdxscholar.library.pdx.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1150&context=usp_fac
A partir d’interrogations auprès des résidents vivant à proximité d’infrastructures créées sur les périodes 2005-2006, 2009-2010 et 2012.
Les questions portaient sur :
– la connaissance et la compréhension du rôle des ouvrages;
– leur volonté de participer à l’entretien;
– l’acceptation globale du dispositif.
Ce qui ressort de cette étude, c’est que de manière générale, l’opinion est plutôt positive envers le programme.
Dans les avantages perçus, on note la réduction des risques d’inondation, l’amélioration de la qualité de l’eau et la création d’espaces verts. Du côté des inconvénients c’est l’entretien jugé insuffisant (plantes hautes, aspect négligé, déchets), le choix de certaines plantes jugées inesthétiques, dangereuses ou attirant les insectes et les moustiques. Enfin, quelques critiques sur la perte de stationnement mais assez minoritaires.
En ce qui concerne le sens et la compréhension de l’action, beaucoup de résidents ignorent le rôle réel des ouvrages et doute de leur efficacité. En revanche, lorsque les personnes interrogées reçoivent l’explication du fonctionnement, l’acceptation en est tout de suite facilitée.
Certains des citoyens interrogés souhaitent participer à l’entretien (propreté, désherbage) quand d’autres estiment que c’est du ressort de la ville.
Globalement cette étude nous dit que l’acceptation des projets dépend de critères locaux, comme le choix des plantes, la propreté et le suivi régulier des ouvrages. L’approche esthétique reste aussi un argument très présent. Les projets sont mieux accueillis quand les habitants sont intégrés dans les réflexions: il en ressort une meilleure compréhension des rôles et des fonctions.
De manière générale, le projet des rue vertes de Portland est un succès. Même si, comme dans de nombreux projets, il existe des voies d’amélioration (qui ont déjà été prises depuis la rédaction des rapports).
Une autre étude vient confirmer la bonne gestion globale de cette politique de renaturation de la ville.
Ce bilan est confirmé par une autre étude réalisé par Na’ama Schweitzer du Pomona College à Claremont en Californie https://scholarship.claremont.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1083&context=pomona_theses
Cette thèse explore et compare la gestion durable des eaux pluviales entre Portland (Oregon) et Los Angeles (Californie). L’objectif était de comprendre pourquoi Portland est souvent citée en exemple pour la conduite et la réalisation de ce type de projets. L’étude repose sur l’analyse des politiques publiques et les réglementations locales ainsi que sur l’analyse de cas concrets et enfin sur des entretiens menés auprès d’acteurs municipaux et des chercheurs.
Les principaux résultats font apparaître Portland comme une ville pionnière en matière de green streets (rues vertes) et de bioswales (baissières, noues).
Les points forts de la ville :
– forte intégration de la gestion durable des eaux pluviales dans la planification urbaine;
– un programme structuré accompagné de suivi scientifique, de participation citoyenne et de communication pédagogique;
Ces paramètres bien ancrés permettent d’obtenir des résultats positifs en terme de réduction des ruissellements, d’amélioration de la qualité de l’eau et d’intégration paysagère.
A contrario, Los Angeles rencontre plus de difficultés et doit faire face à des défis majeurs liés à l’urbanisation massive et à l’aridité du climat. On note aussi que des projets pilotes sont lancés, mais manquent de cohérence. Le manque de continuité dans les politiques publiques n’aide en rien à la réussite de ces expérimentations.
Nous avons séjourné pendant un mois dans la ville de Portland où nous avons pu à de nombreuses reprises arpenter les rues de la ville. Les conclusions de ces études nous ont aussi été expliquées par Ivy Dunlap et Kate Hibshman, deux architectes paysagistes travaillant pour la Ville.
En fonction des quartiers, des contextes, des types de rues, nous avons observé les différents aménagements. Il était assez facile de repérer les espaces où les citoyens avaient accepté et intégré les ouvrages: le soin apporté aux plantes ou la personnalisation des ouvrages étaient là pour le démontrer.
Le sol et le climat de la région facilitant un peu les choses, une balade dans les rues de Portland offre un vrai dépaysement. Il faut tout de même préciser qu’il s’agit des rues des quartiers périphériques au centre ville. Le cœur de la ville n’est pas désagréable, mais la municipalité fait face à un autre problème d’ordre sanitaire (épidémie de Fentanyl),https://www.opb.org/article/2023/05/30/oregon-worsening-drug-crisis-fentanyl-overdoses/
Aujourd’hui, de nombreuses villes françaises et européennes ont intégré ce type d’ouvrages dans leur politique de gestion des eaux pluviales, dans des proportions différentes, mais c’est un début. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans d’autres articles.
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